Grenoble. La mairie prête à mettre en place la réquisition des logements vacants
Par Manuel Pavard
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« La situation en termes d’hébergement est inacceptable en France, malgré les propos du président Macron qui disait, en 2017, pas un enfant à la rue d’ici la fin de l’année. » Ce constat, Éric Piolle le fait déjà depuis des années, assure-t-il. Le maire de Grenoble et les élus Nicolas Beron-Perez et Céline Deslattes, conseillers municipaux délégués respectivement au logement et à la grande précarité, l’ont de nouveau répété, lundi 19 mai, à Samira Dadache, représentante de la FCPE et de l’intercollectif des écoles occupées. Le collectif — qui regroupe les parents d’élèves, Droit au logement (DAL), la FCPE et l’intersyndicale « enfants migrant.e.s à l’école » (FSU, Sud, CNT, CGT) — organisait en effet ce lundi un rassemblement et une conférence de presse devant l’hôtel de ville, qui accueillait le jour même le conseil municipal.

Objectif : interpeller les pouvoirs publics et solliciter plus particulièrement la municipalité sur la réquisition des logements vacants, revendication de longue date des militants. Un point qu’ont justement évoqué les élus. « Nous avons écrit à Mme la préfète pour qu’elle utilise son droit de réquisition, qui est nettement plus important que le nôtre », explique Éric Piolle. Si Catherine Seguin ne répond pas ou décline la demande, l’édile se dit alors « prêt à déposer un arrêté » pour activer son propre pouvoir de réquisition. Lequel est toutefois beaucoup « plus contraint » que celui de la préfecture, le maire devant quant à lui justifier d’une « urgence impérieuse » pour le mettre en œuvre.
« Potentiellement 250 enfants à la rue »
Dans son courrier, adressé il y a deux semaines, à la préfète, la ville lui a notamment rappelé les chiffres locaux, édifiants. Par exemple, les 3 500 personnes aujourd’hui domiciliées au CCAS de Grenoble. Ou, parmi elles, les quelque « 900 personnes à la rue qui peuvent prétendre à la prise en charge par un Cada » (centre d’accueil pour demandeurs d’asile), souligne Nicolas Beron-Perez. On recense en outre « potentiellement 250 enfants à la rue, c’est-à-dire dans des bidonvilles, dans des squats, hébergés chez un tiers ou dans des écoles », ajoute l’élu communiste.
Cela fait maintenant trois ans que des parents d’élèves et enseignants ont lancé ce mouvement d’occupation des écoles grenobloises, pour mettre à l’abri des familles sans toit. « Actuellement, sept écoles sont toujours occupées par dix familles, dont 29 enfants », précise l’intercollectif des écoles occupées. « Les écoles sont devenues un sas, du fait de la défaillance chronique de l’État », déplore Nicolas Beron-Perez.

Certes, la municipalité — qui a récemment vu le tribunal administratif condamner l’État à lui rembourser les frais d’hébergement à l’hôtel d’une famille — a également « obtenu la création de 100 places supplémentaires d’hébergement ». Mais celles-ci sont « déjà toutes occupées » alors que le nombre de sans-logis, lui, ne diminue pas. Comment l’expliquer ? Le conseiller municipal réfute les théories de la droite sur une augmentation des demandeurs d’asile qui créerait un appel d’air. La réalité, affirme-t-il, c’est qu’il y a « de plus en plus de personnes qui basculent dans la pauvreté ». Ce qui va de pair avec la « hausse des expulsions locatives ». D’où « une vulnérabilité grandissante en matière de logement ».
« Ce n’est pas une spoliation de propriété »
Selon Éric Piolle, il fallait donc « rompre ce cercle vicieux d’avoir des gens à la rue et des logements vides ». Attention cependant, « il ne s’agit pas de cibler une personne ayant un appartement qui serait essentiel pour sa vie », prévient le maire de Grenoble. De fait, la mesure ne concernerait que « des personnes qui sont multi-propriétaires et qui ont un logement vacant depuis plus de deux ans », complète Nicolas Beron-Perez.
Ce dernier tient par ailleurs à le rappeler, la réquisition « n’est pas une spoliation de propriété ». Les propriétaires seraient bien sûr « indemnisés » par la ville — qui paierait également les assurances et les fluides — et cela s’appliquerait sur un temps limité. Et l’élu au logement de citer l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »
« Il faut prendre en compte les logements qui sont structurellement vacants au-delà de deux ans. Soit environ 3 500 logements sur le territoire métropolitain et 1 750 à Grenoble. »
Nicolas Beron-Perez, conseiller municipal délégué au logement
Combien de logements sont-ils susceptibles d’être réquisitionnés ? Sur ce point, les estimations diffèrent fortement entre les militants et la municipalité. Le DAL évoque ainsi 17 000 logements vides dans l’agglomération grenobloise. Quant à Nicolas Beron-Perez, il ne conteste pas le chiffre en lui-même, mais son interprétation. Car parmi ces 17 000 logements, près de « 15 000 sont en cours de relocation », nuance-t-il. « Il faut prendre en compte ceux qui sont structurellement vacants au-delà de deux ans. Soit environ 3 500 logements sur le territoire métropolitain et 1 750 à Grenoble. »

Autre difficulté, un logement théoriquement vacant ne l’est pas forcément en pratique. Il peut être occupé gracieusement par un proche, en travaux… « On n’a aucun moyen légal pour le vérifier. Pour cela, il faudrait rentrer à l’intérieur », reconnaît l’élu PCF, qui n’élude pas les incertitudes existantes. « L’idée, c’est d’enclencher la procédure et le dialogue avec la préfecture, poursuit-il. On attend la réponse contradictoire de la préfète. En fonction de celle-ci, on informera chaque propriétaire que l’on souhaite discuter avec lui. »
Nicolas Beron-Perez reste néanmoins lucide : les mesures envisagées s’apparentent à « des pansements et des palliatifs ». Bien que nécessaire, la réquisition est, selon lui, « un outil supplémentaire, pas une baguette magique ». À Grenoble, « il faudrait mettre à disposition au moins 4 000 logements d’un coup ! En résumé, il faut une politique nationale. »
Pour le collectif, « une avancée » mais des annonces « trop floues »
L’intercollectif des écoles occupées a réagi à l’annonce du maire de Grenoble dans un communiqué. « Nous nous félicitons des intentions affirmées par M. Piolle, lors du conseil municipal du lundi 19 mai, de réquisitionner des logements vacants », indiquent les militants, saluant « une avancée pour le droit à l’hébergement et au logement qui doit participer à créer une dynamique locale comme nationale ».
Le collectif, qui attend désormais « la mise en place des premières réquisitions », reste toutefois mesuré. « Les annonces municipales restent pour l’instant beaucoup trop floues, tant sur les délais que sur le nombre de personnes qui seront mises à l’abri », estime-t-il, souhaitant ne pas « se retrouver avec des écoles toujours occupées durant l’été ».
Une rencontre prévue le 4 juin avec la mairie devrait « apporter des précisions » sur la procédure de réquisition, espère l’intercollectif des écoles occupées, qui interpelle également le Département de l’Isère. Pour les militants, « il faut continuer à exiger du conseil départemental une véritable protection de l’enfance, et de l’État le respect du droit inconditionnel à l’hébergement ». Ce qui passe par « la construction de logements sociaux, la création d’hébergement d’urgence dignes et pérennes, la baisse des loyers ».