MC2 — Grenoble – L’Hôtel du libre-échange. Un Feydeau explosif !
Par Régine Hausermann
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Couple, libido et mesquinerie bourgeoise
Deux couples d’amis se croisent dans un large espace à la fois salon et atelier de Pinglet, entrepreneur et fier de l’être, s’estimant bien supérieur à ces rêveurs que sont les architectes, corporation à laquelle appartient son ami Paillardin. Les femmes sont préoccupées par leurs tenues. Madame Pinglet fait un essayage de l’autre côté d’une porte. Par une autre porte entre Madame Paillardin se plaignant que son mari la dédaigne. Homme à femmes misogyne et beau parleur, Pinglet profite de la situation d’autant que Marcelle Paillardin ne manque pas de tempérament. Rendez-vous est pris pour la soirée dans un hôtel de la rue de Provence à Paris, l’hôtel du Libre-Echange.
A ces quatre personnages, s’ajoutent ceux de Victoire, la bonne, et du neveu des Pinglet, Maxime, grand dadais étudiant en philosophie et puceau. La visite impromptue de leur ami Mathieu ravit les Pinglet qui ont passé quinze jours chez lui à Valenciennes l’été précédent. Effets comiques garantis : Mathieu bégaie les jours de pluie. Or aujourd’hui, il pleut ! Par ailleurs Mathieu arrive avec cinq malles et quatre filles, pour un mois ! C’en est trop pour les Pinglet qui les mettent dehors. Feydeau joue sur les registres comiques : de la caricature bon enfant à la satire des bourgeois mesquins et brutaux.
Un acte deux délirant
Tout ce petit monde, sauf madame Pinglet, va se retrouver rue de Provence dans un univers de lupanar : murs couverts de tentures à motifs rouge sombre, gérant des lieux à l’allure androgyne, tout de blanc vêtu, ailes d’ange comprises, portes permettant d’isoler les client·es et de faciliter la communication entre les trois chambres sans que rien n’échappe aux yeux du public.

Etrange sensation provoquée par les costumes des client·es de l’hôtel du Libre-Echange couverts du même plumage blanc, les métamorphosant en de drôles d’oiseaux ! Le couple adultère Pinglet- Paillardin occupe une première chambre visible du public, côté jardin. Monsieur Paillardin, architecte en mission s’installe dans la chambre symétrique côté cour, pour vérifier si des esprits hantent l’endroit. A peine est-il sorti que Mathieu et ses filles occupent les lieux. Il ne manque plus que le couple Victoire-Maxime installé dans la chambre du fond, invisible à nos yeux.
Je vous laisse imaginer le ballet qui permet d’abord aux protagonistes de s’éviter, avant que le dispositif les fasse se rencontrer. Intervention de la police. Nuit au poste. Mais Pinglet obtient sa libération moyennant caution substantielle. Le comique de situation l’emporte mais la satire psychologique et sociale cible les bourgeois affolés.
Puis tout rentre dans l’ordre… enfin, presque !
Pinglet réussit à ne pas se faire épingler en rentrant subrepticment chez lui. Le naïf Paillardin enfermé dehors communique avec son ami Pinglet, tiré de son sommeil du haut d’une échelle. La paillarde Madame Paillardin s’en tire blanche comme neige. Mais comme il faut que la morale soit sauve au terme de ce délire nocturne, l’opprobre tombe sur la bonne qu’on accuse d’avoir débauché le gentil Maxime, et qui se fait renvoyer.
Dans ses comédies, Molière avait pour ambition de « plaire et instruire ». Comme lui, Feydeau met le rire au service de la satire, ciblant particulièrement l’univers mesquin de la bourgeoisie de son époque.

Acte III. Paillardin raconte sa nuit à Pinglet. ©Jean-Louis Fernandez