MC2 — Grenoble – L’Hôtel du libre-échange. Un Feydeau explosif !

Par Régine Hausermann

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©JeanLouisFernandez
Mardi 11 mars – Soir de première pour la mise en scène de la pièce de Feydeau par Stanislas Nordey. Trois heures de spectacle qui filent à toute allure tant la mécanique délirante de l’action nous transporte, tant les travers des personnages explosent, tant la scénographie et les costumes éblouissent. Sexualité débridée, rapports de force sociaux , absurdité des comportements. On rit beaucoup, quelquefois de bon cœur, quelquefois « jaune ». Bravo à toute l’équipe de création et aux quatorze comédien·nes pour rendre avec une telle force la satire et la folie à l’œuvre chez Feydeau.

Couple, libi­do et mes­qui­ne­rie bour­geoise

Deux couples d’amis se croisent dans un large espace à la fois salon et ate­lier de Pin­glet, entre­pre­neur et fier de l’être, s’estimant bien supé­rieur à ces rêveurs que sont les archi­tectes, cor­po­ra­tion à laquelle appar­tient son ami Paillar­din. Les femmes sont pré­oc­cu­pées par leurs tenues. Madame Pin­glet fait un essayage de l’autre côté d’une porte. Par une autre porte entre Madame Paillar­din se plai­gnant que son mari la dédaigne. Homme à femmes miso­gyne et beau par­leur, Pin­glet pro­fite de la situa­tion d’autant que Mar­celle Paillar­din ne manque pas de tem­pé­ra­ment. Ren­dez-vous est pris pour la soi­rée dans un hôtel de la rue de Pro­vence à Paris, l’hôtel du Libre-Echange.

A ces quatre per­son­nages, s’ajoutent ceux de Vic­toire, la bonne, et du neveu des Pin­glet, Maxime, grand dadais étu­diant en phi­lo­so­phie et puceau. La visite impromp­tue de leur ami Mathieu ravit les Pin­glet qui ont pas­sé quinze jours chez lui à Valen­ciennes l’été pré­cé­dent. Effets comiques garan­tis : Mathieu bégaie les jours de pluie. Or aujourd’hui, il pleut ! Par ailleurs Mathieu arrive avec cinq malles et quatre filles, pour un mois ! C’en est trop pour les Pin­glet qui les mettent dehors. Fey­deau joue sur les registres comiques : de la cari­ca­ture bon enfant à la satire des bour­geois mes­quins et bru­taux.

Un acte deux déli­rant

Tout ce petit monde, sauf madame Pin­glet, va se retrou­ver rue de Pro­vence dans un uni­vers de lupa­nar : murs cou­verts de ten­tures à motifs rouge sombre, gérant des lieux à l’allure andro­gyne, tout de blanc vêtu, ailes d’ange com­prises, portes per­met­tant d’isoler les client·es et de faci­li­ter la com­mu­ni­ca­tion entre les trois chambres sans que rien n’échappe aux yeux du public.

©Jean-Louis Fer­nan­dez

Etrange sen­sa­tion pro­vo­quée par les cos­tumes des client·es de l’hôtel du Libre-Echange cou­verts du même plu­mage blanc, les méta­mor­pho­sant en de drôles d’oiseaux ! Le couple adul­tère Pin­glet- Paillar­din occupe une pre­mière chambre visible du public, côté jar­din. Mon­sieur Paillar­din, archi­tecte en mis­sion s’installe dans la chambre symé­trique côté cour, pour véri­fier si des esprits hantent l’endroit. A peine est-il sor­ti que Mathieu et ses filles occupent les lieux. Il ne manque plus que le couple Vic­toire-Maxime ins­tal­lé dans la chambre du fond, invi­sible à nos yeux.

Je vous laisse ima­gi­ner le bal­let qui per­met d’abord aux pro­ta­go­nistes de s’éviter, avant que le dis­po­si­tif les fasse se ren­con­trer. Inter­ven­tion de la police. Nuit au poste. Mais Pin­glet obtient sa libé­ra­tion moyen­nant cau­tion sub­stan­tielle. Le comique de situa­tion l’emporte mais la satire psy­cho­lo­gique et sociale cible les bour­geois affo­lés.

Puis tout rentre dans l’ordre… enfin, presque !

Pin­glet réus­sit à ne pas se faire épin­gler en ren­trant subrep­tic­ment chez lui. Le naïf Paillar­din enfer­mé dehors com­mu­nique avec son ami Pin­glet, tiré de son som­meil du haut d’une échelle. La paillarde Madame Paillar­din s’en tire blanche comme neige. Mais comme il faut que la morale soit sauve au terme de ce délire noc­turne, l’opprobre tombe sur la bonne qu’on accuse d’avoir débau­ché le gen­til Maxime, et qui se fait ren­voyer.

Dans ses comé­dies, Molière avait pour ambi­tion de « plaire et ins­truire ». Comme lui, Fey­deau met le rire au ser­vice de la satire, ciblant par­ti­cu­liè­re­ment l’univers mes­quin de la bour­geoi­sie de son époque.


Acte III. Paillar­din raconte sa nuit à Pinglet. ©Jean-Louis Fer­nan­dez

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