MC2 — Grenoble – Didon et Enée. Un éblouissement !
Par Régine Hausermann
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Des corps habités par la musique
Lors de l’ouverture de l’opéra, le rideau s’ouvre partiellement créant un triangle de lumière dans lequel s’inscrivent à contre-jour les dix danseur·ses — cinq femmes et cinq hommes – épousant de face le rythme de la musique, maniant des archets invisibles. Puis de profil, la gestuelle des instruments à vent prend le relais. Les corps sont habités par la musique. C’est lent, c’est beau. Nous sommes pris dans la magie de Purcell magnifiée par Blanca Li.
La tragédie de Didon et Enée est lancée. Le rideau s’ouvre complètement. La passion entre Didon, la reine de Carthage, et le prince troyen Enée se développe sur un plateau nu, éclairé par les splendides effets de lumière de Pascal Laajili qui approfondissent les sentiments portés par la musique. Après une période d’hésitation, la reine fait le choix du bonheur avec le prince troyen sur les conseils de sa confidente Belinda — Shake the cloud from off your brow.
Un couple démultiplié, exultant
Tantôt le couple amoureux est interprété par un danseur et une danseuse. Tantôt il est dansé par deux ou trois couples. Enée prend tour à tour l’apparence d’un homme élancé et athlétique, puis celle d’un homme au corps râblé. Didon est blonde ou brune, grande ou petite. Mais les dix artistes ont en commun leur énergie, leur souplesse athlétique qui va très vite se déployer dans l’élément aquatique.
À la fin du premier acte, la musique s’est tue pour laisser entendre le son de l’eau répandue par les danseur·ses sur le plateau. L’action se déplace du palais de la reine au rivage méditerranéen où Enée a accosté. La joie est à son comble sur la plage transformée en terrain de jeux sur lequel on danse, on glisse, on se poursuit, on s’éclabousse, en maillot de bain.
Le devoir l’emporte sur l’amour
Mais les dieux sont mécontents et s’expriment à travers les maléfiques sorcières qui déclenchent un orage annonciateur de malheur. Enée est rappelé à son devoir : quitter Carthage pour fonder la ville de Rome. Le fond de scène passe de l’or du soleil couchant au gris et noir du ciel tourmenté. Enée résiste mais sa volonté est de peu de poids face à l’ordre divin. Le dénouement est proche. Résonne alors le célèbre lamento — Remember me, but ah ! forget my fate – que Didon adresse à Belinda avant de se précipiter du haut du rocher.
La musique d’Henry Purcell et le livret de Nahum Tate (1689) continuent à nous émouvoir profondément, interprétés par William Christie et ses Arts florissants, les chanteur·ses Kate Lindsay, Renato Dolcini et Ana Vieira Leite. La chorégraphie résolument contemporaine de Blanca Li épouse les nuances des amours contrariées d’un couple démultiplié qui danse en évoquant Matisse, qui glisse en maillot de bain sur la plage, qui s’effraie de l’empêchement d’être heureux, n’ayant pour seule issue que de quitter la scène à la façon d’une barque funéraire égyptienne.
Le public de la MC2 a applaudi de longues minutes avant que le rideau ne se referme sur tant de beauté et de souffrance.