MC2 — Grenoble – Theatre of dreams. La rage de vivre d’Hofesh Shechter
Par Régine Hausermann
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Hofesh Shechter, chorégraphe et compositeur
Hofesh Shechter, chorégraphe israélien installé en Angleterre, a choisi la France pour élaborer et répéter sa nouvelle, commande du Théâtre de la Ville à Paris. On peut mesurer l’engouement suscité par le travail du chorégraphe à la vingtaine de structures françaises et européennes qui ont co-produit ce « théâtre de rêves », au public qui a rempli la salle du théâtre de la Ville lors de la création en juin et juillet derniers et à celui qui se presse depuis le lancement de la tournée en France cet automne. On se surprend à penser que le film de Cédric Klapisch En Corps dans lequel Hofesh Shechter joue son propre rôle a renforcé sa notoriété et séduit le public par sa personnalité.
Pour les amateurs de danse contemporaine, chaque nouvelle pièce d’Hofesh Shechter, né en 1975 à Jérusalem, est un événement. Depuis sa première pièce Fragments en 2003, il développe son style fait de virtuosité, de puissance collective. Son style, c’est aussi la musique, qu’il crée en fonction de ses chorégraphies, qu’il joue quelquefois en tant que percussionniste.
Entrez dans un espace inconnu, pulsionnel
C’est l’invitation qui nous est faite par un danseur, venu du couloir d’accès à la salle, côté cour, portant un costume décontracté à motifs bleus. Il se hisse sur scène, nous regarde, puis se glisse dans un interstice du rideau d’avant-scène. Avec lui, nous entrons dans le rêve, dans le flux des images.
Dans un premier temps, nous n’en saisissons que des fragments, des instantanés. Un groupe de danseurs et danseuses figé·es, bras levés, dont les silhouettes se découpent entre deux rideaux. Une danseuse seule dans la lumière, également cadrée dans un court espace que les rideaux cadrent selon la volonté des autres. Des arrêts sur images de quelques secondes se succèdent, au premier plan, au second plan, à l’arrière-plan, selon un rythme rapide, dans une bande-son puissante qui emporte les corps des treize danseurs et danseuses. Des corps jaillissent, apparaissent, disparaissent, reparaissent entre deux pans de rideaux, à des profondeurs différentes. Tantôt dans des lumières éclatantes, tantôt crépusculaires, tantôt en ombre chinoise. C’est beau, mais les tableaux sont si fugaces — cinématographiques — qu’on en est presque frustrée. Ces fragments de vie, de rêve sont d’une force extrême, primitive, tellurique, à l’image des pulsations ininterrompues de la musique qu’on imagine être celles du magma cherchant son chemin vers l’explosion.
Apaisement du retour au réel, du partage
Soudain, le trio de musiciens en costumes rouges, entrés sur scène après coup, comme pour intensifier encore la puissance sonore, se met à jouer une bossa nova. Quelle douceur, quelle légèreté soudain ! Chaque danseur et danseuse se laisse aller à la langueur des rythmes brésiliens puis invite le public à se lever et danser avec elles et eux. « Ne soyez pas timides, lance le danseur aux cheveux verts ! »
Retour dans le théâtre des rêves
L’énergie est toujours aussi intense mais les tableaux sont plus longs, le « montage » moins fragmenté. Les mouvements du groupe se déploient avant d’exploser ! La rage, l’urgence de vivre, toujours. Ensemble. A un moment, les treize — que l’on reconnaît bien maintenant avec leurs styles vestimentaires particuliers — s’asseyent devant les trois musiciens écarlates, écoutent puis reprennent leur danse, animés par une infatigable énergie et un inépuisable désir d’être ensemble.
Applaudissements debout, sifflements de joie, rappels d’un public enthousiaste.