MC2 — Grenoble – Theatre of dreams. La rage de vivre d’Hofesh Shechter

Par Régine Hausermann

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© Ulrich Geische
Jeudi 21 novembre 2024 – Deuxième des quatre représentations proposées à la salle Georges Lavaudant. Complet ! Le balcon bruisse de voix jeunes tandis qu’un grondement sourd, tellurique, accompagne l’entrée du public. Bientôt surgissent d’entre les rideaux, les danseurs et danseuses porté·es par une énergie primitive, en mouvement ou immobiles, seul·es ou en groupe. Instantanés dansés qu’on voudrait retenir. Par moments la danse s’apaise, les tableaux se déploient puis une vitalité folle ressurgit, sans épuiser les corps.

Hofesh Shechter, chorégraphe et compositeur

Hofesh Shech­ter. © Vic­tor Fran­kows­ki

Hofesh Shech­ter, cho­ré­graphe israé­lien ins­tal­lé en Angle­terre, a choi­si la France pour éla­bo­rer et répé­ter sa nou­velle, com­mande du Théâtre de la Ville à Paris. On peut mesu­rer l’engouement sus­ci­té par le tra­vail du cho­ré­graphe à la ving­taine de struc­tures fran­çaises et euro­péennes qui ont co-pro­duit ce « théâtre de rêves », au public qui a rem­pli la salle du théâtre de la Ville lors de la créa­tion en juin et juillet der­niers et à celui qui se presse depuis le lan­ce­ment de la tour­née en France cet automne. On se sur­prend à pen­ser que le film de Cédric Kla­pisch En Corps dans lequel Hofesh Shech­ter joue son propre rôle a ren­for­cé sa noto­rié­té et séduit le public par sa per­son­na­li­té.

Pour les ama­teurs de danse contem­po­raine, chaque nou­velle pièce d’Hofesh Shech­ter, né en 1975 à Jéru­sa­lem, est un évé­ne­ment. Depuis sa pre­mière pièce Frag­ments en 2003, il déve­loppe son style fait de vir­tuo­si­té, de puis­sance col­lec­tive. Son style, c’est aus­si la musique, qu’il crée en fonc­tion de ses cho­ré­gra­phies, qu’il joue quel­que­fois en tant que per­cus­sion­niste.

Entrez dans un espace inconnu, pulsionnel

C’est l’invitation qui nous est faite par un dan­seur, venu du cou­loir d’accès à la salle, côté cour, por­tant un cos­tume décon­trac­té à motifs bleus. Il se hisse sur scène, nous regarde, puis se glisse dans un inter­stice du rideau d’avant-scène. Avec lui, nous entrons dans le rêve, dans le flux des images.

Dans un pre­mier temps, nous n’en sai­sis­sons que des frag­ments, des ins­tan­ta­nés. Un groupe de dan­seurs et dan­seuses figé·es, bras levés, dont les sil­houettes se découpent entre deux rideaux. Une dan­seuse seule dans la lumière, éga­le­ment cadrée dans un court espace que les rideaux cadrent selon la volon­té des autres. Des arrêts sur images de quelques secondes se suc­cèdent, au pre­mier plan, au second plan, à l’arrière-plan, selon un rythme rapide, dans une bande-son puis­sante qui emporte les corps des treize dan­seurs et dan­seuses. Des corps jaillissent, appa­raissent, dis­pa­raissent, repa­raissent entre deux pans de rideaux, à des pro­fon­deurs dif­fé­rentes. Tan­tôt dans des lumières écla­tantes, tan­tôt cré­pus­cu­laires, tan­tôt en ombre chi­noise. C’est beau, mais les tableaux sont si fugaces — ciné­ma­to­gra­phiques — qu’on en est presque frus­trée. Ces frag­ments de vie, de rêve sont d’une force extrême, pri­mi­tive, tel­lu­rique, à l’image des pul­sa­tions inin­ter­rom­pues de la musique qu’on ima­gine être celles du mag­ma cher­chant son che­min vers l’explosion.

© Tom Vis­ser

Apaisement du retour au réel, du partage

Sou­dain, le trio de musi­ciens en cos­tumes rouges, entrés sur scène après coup, comme pour inten­si­fier encore la puis­sance sonore, se met à jouer une bos­sa nova. Quelle dou­ceur, quelle légè­re­té sou­dain ! Chaque dan­seur et dan­seuse se laisse aller à la lan­gueur des rythmes bré­si­liens puis invite le public à se lever et dan­ser avec elles et eux. « Ne soyez pas timides, lance le dan­seur aux che­veux verts ! »

Retour dans le théâtre des rêves

L’énergie est tou­jours aus­si intense mais les tableaux sont plus longs, le « mon­tage » moins frag­men­té. Les mou­ve­ments du groupe se déploient avant d’exploser ! La rage, l’urgence de vivre, tou­jours. Ensemble. A un moment, les treize — que l’on recon­naît bien main­te­nant avec leurs styles ves­ti­men­taires par­ti­cu­liers — s’asseyent devant les trois musi­ciens écar­lates, écoutent puis reprennent leur danse, ani­més par une infa­ti­gable éner­gie et un inépui­sable désir d’être ensemble.

Applau­dis­se­ments debout, sif­fle­ments de joie, rap­pels d’un public enthou­siaste.

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