La Rampe – Échirolles. Bate fado : ardent, trépidant, puissant !
Par Régine Hausermann
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Au centre de la scène, un kiosque à musique, aux piliers élancés. Dans la pénombre, une grande croix recouverte de ballons de baudruche noirs. Quatre tabourets pour les musiciens qui s’en serviront peu pour s’asseoir. Dès leur entrée ils forment un tourbillon, tout en jouant de la guitare, de la guitare portugaise ou de la basse. Les danseurs entrent à leur tour, garçon et filles en pantalon, battant des pieds avec leurs chaussures dont la beauté capte les regards. En cuir jaune, rouge, ou plus sombre, elles sont l’œuvre de Gradaschi dont on salue les créations.
La danse semble improvisée. On danse ensemble, on se sépare, on se défie, au son de la musique. Un des guitaristes se met à chanter. La danse continue sous le kiosque ou dans un espace plus large. On ne se touche pas. On se suit. On s’affronte. On frappe des pieds sur le sol. Des jets de fumée masquent les silhouettes qui réapparaissent au son des instruments.
Puis Jonas, le chanteur de fado – ou fadista – nous emporte dans cette tristesse douce-amère, ces déchirements, cette saudade portugaise, née dans les quartiers populaires de Lisbonne, les ruelles étroites d’Alfama et Mouraria, chantée par les ouvrièr·es et les marins pour dire leurs peines, leurs espoirs et leurs rêves.
Du fado, nous ne connaissions que des voix féminines, à commencer par « sa reine », Amalia Rodrigues. Ce soir, nous l’entendons, chanté par un homme. Nous ne comprenons pas les paroles mais nous reconnaissons l’expression du fatum, de la fatalité qui conduit tantôt à la joie mais plus souvent à la douleur. La danse se fait aussi impudique lorsqu’un des musiciens positionne sa guitare horizontalement à hauteur du pubis, manche dressé vers l’avant. On frôle le sacrilège lorsque des danseurs crèvent les ballons de baudruche noirs qui couvrent l’immense croix. Pschitt !
On saisit alors les raisons qui ont conduit les autorités politiques et catholiques portugaises à censurer la forme dansée du fado au XIXe siècle.
Lorsque le rideau tombe, les artistes s’avancent vers le public et dans une lumière rouge, celle des lieux clandestins où l’on continuait à jouer le fado pendant la dictature. Puis Jonas rend hommage à « la plus fadiste des chanteuses françaises », Édith Piaf, dont il entonne les paroles :
« Cet air qui m’obsède jour et nuit
Cet air n’est pas né d’aujourd’hui
Il vient d’aussi loin que je viens
Traîné par cent mille musiciens
Un jour cet air me rendra folle
Cent fois j’ai voulu dire pourquoi
Mais il m’a coupé la parole
Il parle toujours avant moi
Et sa voix couvre ma voix. »
Et le public de reprendre en cœur le refrain « Padam…padam…padam… »
Bravo à Jonas, né à Lisbonne en 1986, et Lander, né à Rio de Janeiro en 1989, qui se sont rencontrés durant leur formation académique à Lisbonne, en 2010. Un duo de chorégraphes dont la coopération rappelle le métissage originel du fado, issu de musique brésilienne et d’influences portugaises au cours des dernières années de la colonisation !