Quand le Piolet d’or s’est fait peur sur l’aiguille du Midi
Par Travailleur Alpin
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Robert Paragot s’est éteint le 24 octobre dernier. Il avait reçu le Piolet d’or en 2012 à Grenoble, en hommage à une carrière d’alpiniste exceptionnelle. Grimpeur des Alpes en Himalaya, il fut également président de la Fédération français de la montagne. Jean Rabaté, journaliste à l’Humanité, se souvient du poulbot parisien et d’une journée particulière, celle d’une ascension à l’issue de laquelle Robert Paragot lui dira « plus jamais ça ! »
Né en 1927 dans la plaine de la Beauce, rien ne prédestinait Robert Paragot à se voir reconnu comme l’une des figures marquantes de l’alpinisme et de la montagne. Fils d’un paysan reconverti en ouvrier manutentionnaire dans la banlieue parisienne, Robert rejoint en 1942 un des centres de jeunesse créé par le gouvernement de Vichy. Il ne supporte pas la discipline militaire qui y règne, l’embrigadement, les marches au pas au chant obligatoire de Maréchal nous voilà. Il est bouleversé par la disparition sans explication d’un de ses meilleurs copains contraint peu de temps avant au port de l’étoile jaune imposé aux juifs par l’occupant nazi. Il quitte le centre. Entre dans un atelier de réparation de machines à écrire.
Il apprendra et exercera ce métier de réparateur dans les services de la Sécurité sociale jusqu’en 1984. Apprécié de ses camarades de travail il deviendra même un temps leur délégué (CGT) du personnel. Sa seconde « carrière », l’alpinisme, l’éloignera souvent de son atelier, mais fidèle à ses origines ouvrières, il n’oubliera jamais de leur adresser des cartes postales de ses expéditions dans les lointains pays de ses exploits. Mais revenons en arrière.
Des réunions de la JC aux rochers de Fontainebleau
1944. Paris s’est libéré. Robert s’est trouvé un groupe de copains, filles et garçons . Avec plusieurs d’entre eux, il adhère à l’Union de la jeunesse républicaine, qui deviendra plus tard la Jeunesse communiste. « Mais je reconnais, me dira-t-il en riant lors de notre première rencontre, aux réunions, défilés ou vente de l’Avant-Garde, nous préférions parcourir la campagne de l’Île de France et y camper le soir venu. C’est ainsi que nous avons découvert la forêt de Fontainebleau, ses rochers et… le b-a-ba de l’alpinisme. »
Pour Robert c’est d’abord un amusement. Mais ils se prend vite au jeu, s’entraîne avec acharnement avec les grimpeurs du club sportif de la Régie Renault dont ses premières performances lui ont ouvert les portes. C’est avec eux qu’il découvrira les Alpes en 1950.
La suite ? Une succession de performances exceptionnelles réalisées, souligne-t-il toujours , collectivement avec ses copains de cordées (1). Celle que j’ai en quelque sorte vécue avec lui n’est pas l’une de ses courses les plus prestigieuses. Mais l’ascension à l’issue de laquelle Robert Paragot déclara : « je n’ai jamais connu une telle trouille de ma vie ».
Une première, la diffusion à la télé d’une ascension en direct
Nous sommes en 1963. Pionniers du petit écran, Pierre Sabbagh et Alexandre Tarta se sont mis en tête de diffuser en direct absolu pour la première fois au monde l’ascension d’un haut sommet. Ils ont choisi l’aiguille du Midi à Chamonix. Huit alpinistes ont accepté, entre autres contraintes, d’atteindre le sommet au cours d’une émission programmée à un jour et à une heure fixée à l’avance : Guido Magnone, Robert Paragot, Joe Brown, René Demaison, Pierre Tairraz, René Vernadet, Maurice Giquel et Georges Payot.
La semaine précédant la date retenue, après que quinze tonnes de matériel aient été transportées pour installer une régie à 3842 mètres d’altitude, des répétitions s’étaient succédées pour les grimpeurs et pour les techniciens, par un froid et un vent relativement cléments.
Le jour J, hélas ! le temps avait changé du tout au tout. Vent violent, froid glacial, chute de neige… Ce qui, selon un journal régional, devait être pour les alpinistes chevronnés une escalade « dans un fauteuil » devenait un véritable piège. Sabbagh et Tarta envisageaient de renoncer à cette Eurovision annoncée depuis longtemps à quelque soixante millions de téléspectateurs. La face Sud de l’aiguille restait verglacée, les fissures enneigées, les prises encombrées de glace. Les alpinistes eux-mêmes, ayant pourtant affronté bien d’autres difficultés, hésitaient à se lancer à l’assaut. Guido Magnone estimait : « c’est très dangereux. Il serait plus prudent de renoncer à atteindre le haut ».
Ils s’élancèrent pourtant , Paragot en tête, à 17 heures 15 précises. L’horaire prévu par la TV. « Couvrant » l’événement pour l’Humanité-Dimanche, c’est aux côtés de Sabbagh et Tarta que j’ai suivi leurs incroyables efforts, en tremblant. Pas seulement du froid dont nous souffrions, les doigts gourds et maladroits, alors que dans la tempête Robert et ses camarades – certains porteurs d’une lourde caméra – devaient s’agripper à mains nues au roc verglacé.
« Cette façon de faire de la montagne pour d’autres motifs que son propre plaisir, la gloire ou l’argent par exemple. »
Dehors, nous glissions à chaque pas mais disposions d’une barrière à laquelle nous cramponner, eux n’avaient que le vide. « Ils » en ont fait de plus dures, « ils » en ont subi d’autres, disions-nous pour nous rassurer. Mais à des difficultés déjà exceptionnelles s’ajoutait pour eux l’obligation de tenir leur engagement. Ils le tinrent. Quelques minutes avant l’heure prévue pour la fin de l’émission, Robert Paragot coiffé d’un bonnet blanc était filmé à califourchon sur le sommet, entouré ensuite de ses camarades serrés les uns contre les autre.
« Plus jamais ça ! » me dira Robert plusieurs jours plus tard. Comme l’explique très bien son amie Sophie Cuenot en conclusion du livre qu’ils écrivirent en commun, il avait réalisé que « parmi les aléas d’une vie de grimpeurs, il y en a un qui n’est pas du tout à son goût. C’est cette prise de risque inconsidérée, cette façon de faire de la montagne pour d’autres motifs que son propre plaisir, la gloire ou l’argent par exemple. En temps normal, ajoute-t-elle, jamais il n’aurait poursuivi une ascension dans ces conditions. Mais il pensait à toute l’équipe mobilisée dans un froid glacial pour mener à bien cette émission, et il a eu peur de décevoir. »
Jean Rabaté
(1) Paris camp de base, Editions Guérin. La lecture de cet ouvrage de Sophie Cuenot et Robert Paragot vous fera participer par le texte et la photo aux principales expéditions du très grand alpiniste. Mais elle vous permettra aussi de découvrir l’homme Paragot, ses valeurs, sa conception de la vie, sa fidélité à ses origines. Le tout agrémenté de maintes anecdotes relatées avec la gouaille du poulbot parisien qu’il n’a jamais abandonnée .