Sélection sociale. C’est le maître mot des décisions gouvernementales prises pour l’université. Avec la perspective d’une baisse du nombre de jeunes qui auront accès à l’enseignement supérieur et en sortiront avec un diplôme. Restera à se payer une école privée… pour ceux qui le pourront. Témoignages et analyses avec des étudiants grenoblois.
« On va entrer à l’université comme on entre sur le marché du travail ; CV, lettre de motivation… c’est la fac qui va recruter ses étudiants, choisir ceux qu’elle estime les meilleurs, comme le patron recrute ses salariés ». Emric Vibert, en master d’ingéniérie mécanique, résume la philosophie de la dernière création gouvernementale, Parcoursup. Ce dispositif qui remplace le trop célèbre Admission post bac (APB) qui avait fait l’unanimité contre lui. « Ce n’est pas parce que ça ne marchait pas qu’il faut faire pire », commente Lucie, lycéenne à la Côte-Saint-André.
Car Parcoursup et les réformes des cursus lycéens et universitaires qui l’accompagne, c’est la consécration de la sélection sociale. En fin de troisième, pour les trois ans qui précèdent le bac, le collégien devra choisir des dominantes dans sa formation. « C’est la fin d’un socle commun de connaissances qui permette de se réorienter, de changer d’avis, de se découvrir un intérêt pour une matière qu’on connaissait mal », constate Sylvain Collenot, étudiant salarié en deuxième année de sociologie. Le lycéen arrive au bac, affronte Parcoursup dès janvier et passe son bac en mai juin. Il doit alors prouver que son parcours de formation est compatible avec le formation universitaire qu’il voudrait suivre. Plus question de passer un bac à dominante scientifique et de s’inscrire en lettres sous prétexte qu’on s’est découvert une passion pour la littérature.
Entrer à la fac sur CV et lettre de motivation. Bientôt de recommandation ?
Mais c’est autrement plus grave. Emmy Marc, étudiante en première année d’anglais, explique. « Le CV et la lettre de motivation, ça va donner un avantage au lycéen qui a des livres à la maison, des classiques qu’il pourra citer, au lycéen qui aura pu faire des stages intéressants parce que ses parents ont des relations, qui sort d’un lycée dont la fac qui recrute a bonne impression, puisque le bac sera délivré beaucoup sur contrôle continu… ». Selon que vous venez de la banlieue ou que vous êtes enfant d’ingénieurs, vous ne serez pas recruté par la même université. Sélection sociale XXL. Et création d’universités d’élite et de « fac pour pauvres », en fonction des exigences – « les attendus » – des universités pour franchir Parcoursup. « J’ai passé le bac par correspondance, ajoute Emmy, c’est plus difficile d’étudier sans encadrement, avec les notes de mon dossier scolaire, je n’aurais peut-être pas été prise à Grenoble ».
Sélection sociale à l’entrée, sélection sociale dans la foulée, à la fac : le problème de la fin de la compensation des notes. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, une note inférieure à la moyenne dans une matière peut être compensée par un bonne note dans une autre matière. Un semestre insuffisant par un autre. Quand on travaille pour financer ses études, le cas de 46 % des étudiants selon l’Observatoire de la vie étudiante, il est impossible de participer à tous les cours… et d’être bon partout. Plus largement, Sylvain constate : « pour réduire les coûts, la fac mutualise : en licence, il faut faire de la socio, de la psycho et des sciences de l’éducation. C’est très différent et on n’est pas obligé de s’intéresser à la psycho quand on veut faire de la socio et inversement : l’absence de compensation va induire une multiplication des échecs ».
Les abandons en cours de formation, c’est ce qui est mis en avant pour justifier la sélection. Sauf que le gouvernement oublie que les abandons, ce sont souvent des réorientations. Un chiffre est tabou : selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), 80% des jeunes qui entrent dans le système universitaire français en ressortent avec un diplôme. Tout simplement le record des pays développés…
L’information commence à circuler. Avec difficulté. « Les lycéens et leurs parents prennent peur, témoigne Lucie, moi, clairement, je crois que la protestation va grandir ; quand on sort du lycée Berlioz de la Côte-Saint-André, je ne sais pas à quelle fac on va avoir droit ». A Grenoble, quelques lycées ont bougé, de premières assemblées générales à la fac, des manifestations ont eu lieu en février, avant les vacances. « Entre syndicats – l’Unef, Sud étudiant et la Licorne –, nous commençons à travailler ensemble ; on n’a pas le choix de la division », note Emmy, adhérente à la Licorne. Côté politique, l’Union des étudiants communistes et le NPA sont actifs à la fac.
Le printemps pourrait être mouvementé. 50 ans après mai 68.
Pourquoi cette barrière à l’entrée de la fac
Nouveau bac, nouvelles règles à l’université… un objectif : individualiser formations et diplômes ; réduire les coûts par la sélection.
Cohérence. De la classe de troisième au Code du travail. Laurent Terrier analyse. « L’ado de 15 ans censé choisir un parcours individuel de formation. Il obtient un bac « individuel », qui n’est plus national, dépend de fait de son lycée. Il entre dans une fac qui voudra bien le prendre, sortira avec un diplôme sans vraie valeur nationale. Sur le marché du travail, il restera un individu sans diplôme reconnu par une convention collective… tout cela va dans le même sens, celui de construire une relation de gré à gré entre l’entreprise et le salarié ».
La création de Parcoursup est un des éléments du dispositif. « L’un des arguments de cette sélection, c’est le oui si, note Gwenaël Delaval, oui à l’inscription si le lycéen maîtrise telle et telle connaissance – ce sont les ‘‘attendus’’, nationaux et locaux. Avec, dit la ministre, la possibilité de sorte de ‘‘cours de rattrapage’’ avant d’entrer en fac. Sauf que rien n’est organisé pour ça et surtout aucun financement n’est prévu ». Reste la sélection sèche.
Concernant les attendus, c’est d’ailleurs la bouteille à l’encre. A Grenoble, étudiants et enseignants, face à des informations contradictoires, ne savent pas très bien si des « attendus locaux » par formation sont ou non communiqués au ministère.
Sélection à l’entrée de l’université, entre la licence et le master, au cours des études… le gouvernement cherche-t-il à diminuer le nombre d’étudiants ? Trop d’étudiants, trop chers ? « Notre société ne souffre pas de trop de connaissances et de qualifications, mais d’un gâchis de ces qualifications », rappelle Gwenaël Delaval.
Financement de la recherche
« C’était un temps que je n’ai pas connu : les laboratoires de recherche disposaient d’un budget pour développer leurs travaux ». Gwenaël Delaval se fie à des témoignages. Aujourd’hui, il connaît. « Nous sommes maintenant ‘‘modernes’’ : tous les programmes de recherche sont financés après réponse à des appels à projets lancés par l’Agence nationale de la recherche. Votre labo est financé si le dossier présenté est jugé meilleur qu’un autre ». Le problème, c’est qu’une part importante de l’activité des chercheurs consiste désormais à répondre à ces appels pour assurer le financement de leur activité. Remplir des dossiers, autant de temps perdu pour la recherche. Le système prend une ampleur nouvelle : aujourd’hui, une quarantaine de personnes travaille dans un service de l’université Grenoble Alpes pour aider les labos à répondre aux appels. Quarante personnes en concurrence avec d’autres services dans d’autres universités françaises, qui travaillent eux aussi pour piquer le budget du voisin…
Et le même système se développe au sein même de l’UGA, entre labos grenoblois… les chercheurs évoquent le sens perdu de leur travail.
5000
personnes travaillent à l’université Grenoble Alpes dont la moitié d’enseignants chercheurs. Il faut y ajouter les doctorants et vacataires qui assurent une partie des cours. 65 000 étudiants fréquentent les universités grenobloises.
Pas assez de profs
Former des étudiants, c’est d’abord être capable de mettre des enseignants devant eux. Profs en nombre insuffisant pour que ce soit possible dans les TP d’informatique, par exemple…
« Je suis, en fait, contractuel à mi-temps »
Les premiers touchés par la réforme de l’université sont les étudiants-salariés.
Ta situation d’étudiant- salarié ?
Maxime Martinet : J’ai 22 ans. Je suis étudiant en troisième année de psychologie et je travaille au collège Jules Vallès en tant qu’accompagnant d’éducateurs en situation de handicap. Mon travail consiste à seconder une professeure de français ; je l’aide surtout pour la discipline de ses deux classes de cinquièmes.
Comment tes cours et ton travail se répartissent-ils sur la semaine ?
M.M. : Je fais treize heures au collège, réparties sur trois jours, je suis en fait contractuel à mi-temps ; et j’ai 24 heures de cours à la fac, dont douze heures en présence obligatoire. Le statut d’étudiant-salarié est peu (voire pas) pris en compte par l’administration de la fac. Heureusement que je travaille dans un établissement public qui a été compréhensif. Cela ne se passe pas comme ça pour tous les étudiants salariés.
Je dois quand même faire l’impasse sur les cours magistraux puisqu’ils tombent les jours pendant lesquels je travaille. A cause de cela, je sais déjà qu’il y a au moins deux matières que je n’aurai pas travaillées avant les examens, faute d’assister aux cours, et de les rattraper par manque de temps.
La réforme qui veut supprimer la compensation d’une note par une autre ou d’un semestre par un autre, va avoir un impact direct sur ta scolarité.
M.M. : Il faudra avoir la moyenne partout et tout le temps. Cela devient problématique puisqu’avec mon travail je ne peux pas assurer partout.
Et quand bien même je passe avec la moyenne il reste à franchir « la sélection master ». L’entrée en master sur dossier pénalise aussi les étudiants-salariés qui obtiennent tout juste leur licence.
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c’est le montant en euro de la bourse que touche Maxime par mois.
Privé de bourse
Après son bac en 2012, Maxime réussit un BTS informatique. Puis se réoriente en licence de psychologie. Il s’y épanouit, mais redouble sa première année. La bourse ne suit pas : elle saute en septembre dernier – une bourse d’échelon maximum, c’est 550 euros par mois sur dix mois.
Les étudiants ont droit à cinq bourses avant licence : deux ans de BTS, deux premières années de licence, une deuxième année… en troisième année, Maxime n’y a plus droit. Il devra attendre l’entrée en master pour la redemander. Même avec une bourse, il travaillera à temps plein de mai à août pour se laisser « une marge ».
Le métier dont il rêve
Après sa licence de psycho, Maxime voudrait entrer en master enseignement-éducation. Et devenir conseiller principal d’éducation. Il va subir la réforme « sélection en master », instituée par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education du gouvernement Hollande.
Les étudiants sont triés à la fin de leur licence par examen des dossiers scolaires, concours ou entretiens. Les étudiants-salariés sont les plus touchés. Maxime, même avec son expérience professionnelle et sa licence, va être confronté à la loi injuste de la sélection. L’université ouverte à tous ?